Lionel Franc, plongeur de l’extrême

Lionel Franc a une passion peu commune : le plongeon de tête. Basé à Cassis, il est l'un des rares pratiquants de cette dangereuse discipline de haut-vol.

Florian Launette & Mégane Chêne

Ils sont une dizaine de garçons, des adolescents, attroupés au bord d’une falaise de Port-Miou à Cassis. Ils regardent les quelques courageux qui sautent depuis le promontoire dans la grande bleue, à 18 mètres en contrebas. Ils ne le disent pas, mais leur attitude raconte la peur, l’envie d’avoir l’air fort, et l’admiration pour le copain qui a osé se jeter dans le vide, les pieds d’abord. Un homme arrive, qui vient se mêler à la petite troupe, naturellement. Il lance de grands sourires, dit bonjour alentour. Tous les yeux se braquent sur lui. « C’est Lionel ? » demande discrètement un petit blond à son copain plus âgé. C’est bien lui, Loulou, ou Lionel Franc – franc, comme son caractère, se plaît-il à annoncer. La plupart des garçons le connaissent pour l’avoir déjà vu plonger maintes fois dans cette calanque qu’ils partagent si souvent.

Car Loulou est un champion dans sa discipline : un plongeur de tête hors-norme, qui s’envole depuis les crêtes escarpées des Calanques pour s’offrir quelques secondes de grâce au-dessus de la mer turquoise. En 2012, il a battu son propre record en s’élançant à 30 mètres de hauteur. Depuis, il s’exerce inlassablement, espérant atteindre bientôt les 35 mètres. « Je m’entraine à raison de 20 minutes de préparation physique par jour et je réalise 8 plongeons de 25 mètres par semaine. Dans quelques jours, je commencerai l’entrainement à 30 mètres » explique-t-il.

Ce midi, il s’apprête à plonger de 21 mètres : une hauteur insuffisante pour sa préparation, mais qui lui offre beaucoup de plaisir. Les jeunes lui font place sur le promontoire qu’il a lui-même aménagé. En-dessous, la falaise blanche est si abrupte qu’aucun arbre ne pousse, pas même les pins d’Alep d’ordinaire si téméraires. Seuls les martinets noirs osent défier ce mur vertical qui plonge à pic dans l’eau cristalline. Autour de Lionel, le petit groupe fait silence. On regarde ses pieds nus se poser au bord du vide. Il jette un caillou en contrebas, appréhende la trajectoire. « Quand je m’apprête à plonger au-delà de 20 mètres, j’ai toujours peur. Je suis dans l’appréhension, le doute, la préparation » confie-t-il. Son corps se place, il se concentre. On attend, comme suspendu. Le bruit autour de lui s’efface. Il lève les bras... et s’élance. Sa silhouette défile à toute vitesse le long de la roche blanche. Ses mains se joignent au-dessus de sa tête, il fend l’eau turquoise, disparaît sous la surface derrière une gerbe d’eau écumeuse, et réapparait quelques mètres plus loin, un grand sourire sur les lèvres. Moins de trois secondes sont écoulées, mais nos cœurs semblent toujours accrochés au promontoire - on jurerait qu’ils se sont arrêtés de battre un instant. Sur la crête et le pont des bateaux, les applaudissements des spectateurs de passage fusent.

Lionel a le sourire. « Quand je commence à écarter les bras et que je décolle de la falaise, il se passe quelque chose qui est difficilement explicable. Au moment où mes pieds quittent le sol, la peur s’efface. Le point de non retour est passé et j’entre dans une autre dimension qui est celle du plaisir », raconte-t-il en remontant vers les jeunes qui l’attendent en héros. Il lance, du tac-au-tac : « qui n’a pas peur avant de sauter ? ».

Un grand brun acquiesce, pas peu fier. « La peur, c’est ton amie. C’est elle qui va te permettre de te préparer correctement et de prendre moins de risques » insiste Lionel Franc. Si la technique du plongeon est relativement simple, le danger est bien réel au-delà de 10 mètres de hauteur. « En 2013, un de mes plongeons de figure s’est mal passé. Je dois la vie à mon équipe de secours qui m’a tiré de là. Je suis la preuve vivante que, même expérimenté, on peut avoir un accident » rappelle-t-il. Autour de lui, les garçons écoutent avec intérêt ses conseils : comment placer son corps, comment éviter les risques, quels sont les dangers... Pour Lionel, « on ne peut pas leur interdire de sauter, ils vont le faire, donc il faut leur donner les clés de la sécurité ».

En plus de distiller ses recommandations aux jeunes plongeurs qu’il croise, Loulou propose des formations techniques et préventives. Le but n’est pas d’apprendre à plonger de haut, mais à plonger correctement, en associant la maîtrise du geste à la sécurité. Mathieu Lucci, son élève du jour, a eu envie de s’initier à la discipline après avoir vu son mentor s’envoler de 25 mètres de haut. « Au début, je sautais avec les copains, mais quand on plonge, on a plus de sensations. C’est impressionnant, on a le cœur qui bat fort. On a peur de se jeter dans le vide et en même temps, c’est ce sentiment que l’on cherche », s’enthousiasme Mathieu. Et Lionel de compléter : « l’homme est fait pour marcher, pour grimper, pour courir, mais pas pour s’envoler ». Et si la sécurité est prise très au sérieux, l’objectif reste celui du plaisir et de la beauté du geste - une quête de sensations et de perfection suspendue entre le ciel et la mer.

Lorsque tu réalises des plongeons de haut-vol, tu ne laisses rien au hasard. Ton protocole de sécurité est parfaitement maîtrisé. En quoi consiste-t-il ?

Lionel Franc : « Une préparation en amont est très importante pour bien réussir l’acte, et c’est là que le plongeon m’amène quelque chose au quotidien. Il me donne une qualité de vie au niveau de la nourriture et de l’entrainement. Ensuite, un dispositif de sécurité a été mis en place à chaque plongeon, et il est renforcé au-delà de 25 mètres. Mon équipe est composée de deux plongeurs sous-marins spécialisés dans le secours en mer ainsi que d’un médecin urgentiste présent sur le bateau. Ils sont capables d’intervenir en quelques minutes ».

Lors d’un saut ou d’un plongeon, le principal danger est de perdre connaissance sous l’eau, au moment de l’impact. Quelles sont les principales règles de sécurité à respecter pour tout plongeur, même débutant?

Lionel Franc : « La première règle à respecter absolument, c’est de ne jamais sauter ou plonger en cas de fatigue physique ou psychologique. Si l’on n’est pas en forme ou pas prêt, on doit refuser de se lancer, quelques soient les circonstances ou la hauteur. Ensuite, il faut se sécuriser plus qu’on ne le pense, même quand on saute par les pieds. Une personne doit toujours attendre le plongeur dans l’eau pour le réceptionner en cas d’accident. Une seconde personne à terre doit se tenir prête à plonger pour leur venir en aide. Et enfin, le plus important : il faut toujours repérer un endroit à proximité, facilement accessible, où l’on pourra sortir un plongeur inconscient de l’eau. C’est ce qui va permettre aux pompiers d’effectuer les premiers secours rapidement. »

Texte, photos et vidéo Florian Launette & Mégane Chêne.

Terra Nostrum 2016

Lionel Franc, plongeur de l’extrême
  1. Section 1
  2. Le saut de l'ange
  3. De l'élégance du geste
  4. Des plongeons de haut vol en toute sécurité